Le portrait d’autrefois

Par Jean-Baptiste Giard

Le portrait, c’est-à-dire la représentation d’un individu (être humain particulier, différent des autres, tel qu’on l’entend dans la tradition occidentale) au moyen de la peinture, de la mosaïque, de la gravure ou de la sculpture, est une création relativement tardive dans l’histoire de l’humanité. De plus, il n’apparaît pas tout d’une pièce, parfaitement dessiné, mais progressivement, lentement : les traits s’esquissent peu à peu, tentent de prendre forme, s’affirment enfin dans des œuvres multiples où, par je ne sais quel stratagème, transparaît la vie intérieure de l’homme, son indépendance, sa liberté. L’homme n’a pu dessiner son corps et, particulièrement, son visage qu’après un long apprentissage de son corps, qu’après la prise de conscience de l’univers dans lequel il se meut et dans lequel, lentement, il a fini par trouver le reflet de son image. Univers complice, univers redoutable : l’homme a dû peiner avant de se découvrir.

Dans le monde occidental, les Perses et les Grecs s’essayèrent les premiers, semble-t-il, à l’art du portrait ; tout au moins, quelques artistes de la Perse et de la Grèce archaïque se sentirent assez libres (dégagés des structures sociales et, plus simplement, des contingences de la vie) et suffisamment soutenus par le dévouement de leurs communautés pour pratiquer les premiers cet art. Ils façonnèrent toutes sortes de matériaux pour en faire des statues et des bustes, non seulement de souverains, mais aussi de poètes, d’orateurs, de philosophes, en un mot de ceux qui dominaient par la force le commun des mortels ou qui se donnaient les moyens d’agir librement en se retranchant du monde, en se mettant même au ban de la société. Portraits rares, cela va sans dire : aucune comparaison possible avec ce qui se passe aujourd’hui où le poster géant, les images protéiformes assaillent littéralement l’homme dans sa vie quotidienne.

 

1. Ptolémée 1 Soter. Roi d’Egypte : aigle sur un foudre, pentadrachme en or, 300-285 avant J.-C. (Inv. M. 6446).

2. Pharnace 1er, roi du Pont : dieu panthée debout de face, drachme d’argent, 190-169 avant J.-C. (Coll. Waddington, n° 111).

3. Jules César denier d’argent frappé par M. Mettius, Rome. 44 avant J.-C. (Ancien fonds, n° 2845).

4. Brutus : aureus frappé aux noms de Brutus et de P. Servilius Casca en 43-42 avant J.-C. (Ancien fonds, n° 131).

5. Octave : aureus frappé aux effigies d’Octave et de Jules César en 43 avant J.-C. (Ancien fonds. n° 129, exemplaire du trésor d’Ambenay).

Par la suite, au temps des grandes monarchies hellénistiques, les portraits des souverains (fig. 1 et 2) l’emportèrent en nombre sur ceux de leurs anciens compétiteurs, poètes et autres esprits mal préparés au bonheur temporel. Avantage acquis de façon peu glorieuse, il est vrai : les portraits des princes ne furent largement diffusés que le jour où la monnaie s’imposa comme leur principal support. Cependant les princes jouirent longtemps de ce droit de portrait sur les monnaies (tus imaginis) et le partagèrent à plusieurs reprises avec des membres de leurs familles. C’était un droit divin, aussi lorsqu’à Rome Jules César, descendant d’Enée selon la légende, prétendit s’arroger la puissance monarchique à la façon d’un prince hellénistique, il se prévalut sans doute de sa filiation mythique pour battre monnaie à son effigie (fig. 3). Précisons que Jules César ne garda pas longtemps son droit de monnaie. Assassiné aux ides de mars 44 avant J.-C. par des concurrents parmi lesquels figurait Brutus (fig. 4), il fut bientôt remplacé par son jeune héritier, Octave (le futur Auguste) (fig. 5) ; Celui-ci n’obtint pourtant le pouvoir absolu qu’après une longue lutte contre Marc Antoine, — aidé un temps par Cn. Domitius Ahenobarbus (fig. 6), — qui se termina par la victoire d’Actium.

Le portrait monétaire se présente généralement de profil, rarement de face (fig. 13 et 17), — sauf à l’époque byzantine où il se réduit bientôt à l’image conventionnelle et anonyme d’un empereur couvert des insignes de sa fonction. Il faut reconnaître qu’en matière de gravure, un profil demande sans doute moins de métier qu’un visage vu de face. En effet, comment rendre correctement les reliefs du visage vu de face (le nez en particulier) dans une image dont la moindre saillie ne peut résister longtemps à l’usure de la circulation ? Le monnayeur délaisse donc cette représentation difficile pour le profil (fig. 11). Mais pour montrer, semble-t-il, qu’il est quand même capable de prouesses techniques, il rattache parfois ce profil à un buste vu de dos (fig. 15).

6. Cn. Domitius Ahenobarbus : aureus frappé en Orient en 41 avant J.-C. (Ancien fonds, n° 142).

 
7. Auguste : camée en sardonyx à deux couches. (E. Babelon, Catalogue des camées…, Paris, 1897, n° 234). 8. La glorification de Germanicus ou Grand Camée de la Sainte-Chapelle : Germanicus prend congé de Tibère et de Livie, sardonyx à cinq couches. Haut. 310 mill., larg. 265 mill. (E. Babelon, Catalogue des camées…, Paris. 1897, n° 264).

Opération délicate, convenons-en, menée dans certains cas avec habileté, mais souvent sans succès. En cas de succès, observons que ce mode de représentation ajoute comme un mystère au visage dont le mouvement s’oppose à celui du corps : l’ouverture contre le refus, ou peut-être l’ostentation insolente contre l’introspection. Soit dit en passant, ce type de portrait sera repris dès la Renaissance par de nombreux artistes (peintres, graveurs, etc.) ; il exprimera parfois l’émotion contenue, la pudeur d’un être tourmenté, l’inquiétude tragique de celui qui endure avec fermeté les souffrances de l’ostracisme (voir aujourd’hui l’autoportrait d’Alexandre Kalugin).

Ce qui frappe pourtant dans le monnayage antique, c’est le caractère répétitif des images. Comme dans les jeux de foire contemporains, les mêmes bustes sont indéfiniment repris avec des visages différents. Mêmes bustes accompagnés des mêmes attributs (couronne de laurier, casque, bouclier, lance, etc.) : en fait, ce sont les multiples visages d’un pouvoir unique et immuable. Même attitude extatique, aussi, de certains personnages dont le regard semble se perdre dans le ciel de l’éternité (fig. 12) : c’est la pose héroïque d’Alexandre le Grand dont le souvenir hantera l’imagination des rois et des empereurs jusqu’à la fin du monde romain, — pose ambiguë, au demeurant, qui pourra se confondre au temps de Constantin avec celle de l’orant chrétien. Détail important, qui explique dans une certaine mesure l’uniformité des images à partir du règne d’Auguste (27 avant J.-C. – 14 après J.-C.), l’empereur se considère comme le protégé des dieux, voire comme leur égal. Pour ne laisser planer aucun doute sur son ascendance divine, il emprunte sans vergogne toutes sortes de signes conventionnels aux dieux et aux héros de la mythologie avec lesquels il entend s’identifier : il apparaît, par exemple, sous les traits d’Apollon, se travestît en Hercule (fig. 10), se couvre de l’égide de Minerve, etc. En définitive, il s’impose comme le cosmocrator, comme celui qui gouverne sans partage l’univers.

9. Julie. fille de Titus : intaille sur aiguë marine, gravée par Evodus. (M. Chabouillet, Catalogue général et raisonné des camées et pierres gravées…. Paris, 1858. n° 2089).

10. Hadrien portant au cou la peau de lion d’Hercule : sesterce en bronze. Rome. vers 136 après J.-C. (Acq. 66/1976).

Charge écrasante, on s’en doute, qui exige comme un dédoublement de la personnalité du prince : le voici constamment partagé entre sa condition humaine et sa fonction impériale, divine. A la charnière des IIIe et IVe siècles, l’individu finira par s’effacer derrière la fonction, derrière les attributs du pouvoir (fig. 14-16) ; mais dès le 1er siècle, le visage de l’empereur se dissimule, en partie, sous un masque d’imposture dont il ne saurait se départir. Comment reconnaître alors le vrai visage, la personnalité de l’empereur ? Toute tentative d’analyse de caractères serait-elle impossible, vouée d’avance à l’échec ? Sans doute pas, mais il est bien évident qu’une telle analyse restera toujours, sinon sujette à caution, du moins partielle.

11. Philippe l’Arabe, Otacilie et Philippe II : médaillon en bronze, Rome, 247 après J.-C. (Ancien fonds, n° 442).

12. Gallien (sous le buste, Pégase) : GAL¬LIENVS AVG OB FIDEM RESERVATAM, multiple d’or, Milan. 262-263 après J.-C. (Coll. Beistegui, n° 229, J. Babelon, « Sur un médaillon d’or inédit de Gallien », Mélanges offerts à M. Nicolas Iorga, Paris, 1933, 109-120).

13. Postume : aureus frappé à Cologne, 266 après J.-C. (Ancien fonds, n° 1399).

14. Probus : TEMP FELICITAS Aiôn tenant le cercle du zodiaque d’où sortent quatre femmes symbolisant les saisons, multiple d’or frappé à Siscia. 277 après J.-C. (Coll. Beistegui, n° 229 bis).

A côté du monnayage, mentionnons les intailles et les camées. A Rome, la glyptique faisait en quelque sorte partie du domaine de l’empereur, du moins celui-ci attirait-il dans son entourage des artistes renommés, — comme Dioscoride et Solon au début du Haut-Empire, — auxquels il confiait le soin d’exécuter de somptueuses commandes. Que l’on songe, par exemple, au camée d’Auguste (fig. 7), au Grand Camée représentant le triomphe de Germanicus (véritable photographie de famille avant la lettre) (fig. 8 ), à l’intaille de Julie, la fille de Titus (fig. 9) : ces œuvres témoignent d’un talent considérable, et incitent même à faire un parallèle entre glyptique et gravure monétaire. Nul doute, à mon sens, que ces deux arts furent pratiqués par les mêmes personnes.

Avec la fin du monde antique, l’histoire du portrait s’interrompt pour plusieurs siècles. Au vrai, comme les troubles politiques et la guerre réduisent l’homme à une vie matérielle précaire, celui-ci délaisse peu à peu sa vie intérieure, s’habitue à taire ses réflexions et perd bientôt toute indépendance d’esprit. L’individu s’efface pour ne laisser subsister que le groupe social avec lequel il doit faire bloc contre l’adversité. Groupe social dur, où le plus fort opprime les faibles et s’érige en arbitre impitoyable.

15. Probus : ADVENTVS AVG l’empereur à cheval à gauche, médaillon en bronze (Ancien fonds, n° 534).

16. Constantin : bustes accolés de Constantin et du dieu Soleil, multiple d’or frappé à Ticinum (Pavie) en 313 après J.-C. (Coll. Beistegui, n° 233).


17. Licinius : bustes de face de Licinius I et de son fils, Licinius II, multiple d’or frappé à Nicomédie, 320 après J.-C. (Coll. Beistegui).

Seul refuge, l’image du Christ proposé comme le nouvel idéal humain. La hiérarchie des valeurs trouve son origine et sa justification dans ce Dieu de miséricorde, — plus tard, Christ de majesté sur le tympan des cathédrales, trônant pourtant à la façon de ces empereurs distants du Bas-Empire, comme Constantin II déjà au revers d’un médaillon de Siscia (fig. 18), puis comme Théodose sur le célèbre plateau de Madrid, enfin comme l’empereur byzantin sur les diptyques consulaires du début du VI° siècle. Christ accessible ? Peut-être. Mais l’homme reste étranger à son voisin ; homo homini lupus : la pensée de Plaute est plus que jamais vivace.

Les Carolingiens tenteront de rétablir l’ordre ancien, mais en vain ; leur époque ne connaîtra qu’une renaissance avortée. Nouveau réveil au XIIe siècle, en France particulièrement. Mais cette fois encore, malgré une meilleure connaissance de l’homme intérieur, l’individu ne peut réellement se manifester. Quelques-uns pourtant (Abélard, Suger) commencent à se raconter ; la biographie renoue timidement avec la tradition antique. On va même jusqu’à esquisser de pseudo-portraits : voir, par exemple, la tête de Frédéric Barberousse de Cappenberg. Simples tâtonnements. En fait, le retour à l’individu ne se fera vraiment qu’au XlVe siècle. Guillaume d’Ockham rejette alors toute une philosophie désuète dont les propositions s’opposaient à l’épanouissement de l’individu. Peu avant, Roger Bacon avait montré un vif intérêt pour les sciences naturelles et, graduellement, l’homme osait enfin se tourner vers la nudité de son corps (à peu près absente, observons-le, de la plupart des grandes tapisseries du Moyen Age). Corps extérieur, corps intérieur : l’un ne va pas sans l’autre. Le XlVe siècle était armé pour redécouvrir le portrait.

18. Constant : Constantin Il entre Constance II et Constant, médaillon d’argent frappé à Siscia, 339/ 340 après J.-C. (Ancien fonds, n° 138).

19. Niccolo Piccinino (vers 1380-1444) : médaille en bronze de Pisanello (vers 1395-vers 1455) (Inv. n° 573).


20. Lionel d’Este, marquis de Ferrare entre 14441 et 1450 : médaille en bronze de Pisanello (Coll. Armand-Valton, n° 30).

On connaît la suite. Évolution foudroyante qui va du portrait de Jean le Bon (musée du Louvre) à la splendide floraison de la Renaissance italienne (fig. 19-22). Le goût pour le faste et le théâtre entraîne alors un développement sans précédent du décorum et des habitudes vestimentaires (fig. 21), à tel point que le portrait même des personnages représentés sur des médailles ou en peinture (de grands seigneurs, pour la plupart) semble parfois souffrir de cet excès d’apparat. Jean Baudrillard note que c’est à la Renaissance que le faux est né avec le naturel. Rien de plus juste. Prisonniers des jeux de leur imagination, les princes de la Renaissance en arrivent à oublier le réel, à confondre les grandes machines théâtrales avec le sérieux de la vie quotidienne, à mêler le faux et le vrai. Tout ne serait-il donc qu’illusion ? Vraisemblablement pas. Pisanello, par exemple, a coulé des médailles sur lesquelles les portraits semblent d’une grande véracité (fig. 19-21). Mais autre est de dessiner les traits d’un visage, autre de rendre la vie intérieure qui se cache derrière ce visage. Ajoutons que si le portrait d’un quelconque personnage rend sans doute compte de quelque apparence des choses, il reflète aussi, à coup sûr, la manière de voir de son auteur, la vie intérieure de son auteur.

21 Don Inigo d’Avalos, grand chambellan d’Alphonse de Naples à partir de 1442 : médaille en bronze de Pisanello (Coll. Armand-Valton, n° 6).

22. Sigismondo Pandolfo Malatesta, seigneur de Rimini (1417-1468) : le château de Rimini, médaille en bronze de Matteo de Pasti (Inv. n° 10).

Tout s’emmêle. L’artiste, graveur ou peintre, ne voit que ce qu’il connaît, que ce qu’il a appris à découvrir par sa propre expérience. On ne peut confondre un portrait dû à Piero della Francesca avec un autre dû à Dürer : deux artistes d’une force extraordinaire, le premier me paraissant parfois plus intérieur que le second. Prenons deux peintres plus éloignés l’un de l’autre dans le temps, Botticelli et Rembrandt. Le contraste est complet. La grâce de l’un s’accorde mal avec la vision brûlante de l’autre : le premier encore fait de chair, sensuel, le second déjà dépouillé de toutes les inutilités terrestres.

Fait remarquable, l’art du portrait n’a guère été pratiqué par les monnayeurs de la Renaissance. On trouve bien quelques beaux portraits monétaires en Italie et en France (Henri II), mais de façon générale ceux-ci supportent mal la comparaison avec l’œuvre métallique de Pisanello et de ses émules. Aucun changement notoire par la suite. Dans la grisaille des émissions monétaires, signalons pourtant certaines pièces de Louis XIII dont le portrait est de la main de Jean Varin (fig. 25). Travail ferme et délicat qui attire sans conteste le regard, mais qui, sans conteste aussi, constitue l’exception. En réalité, la monnaie n’était plus, comme dans l’Antiquité, l’un des principaux supports de la propagande gouvernementale ; on n’ordonnait plus les émissions monétaires pour faire connaître le portrait du prince ou pour célébrer des victoires, mais essentiellement pour favoriser le commerce et l’impôt. Cependant, le prince des temps nouveaux n’oublia pas de rappeler qu’il était le maître ; il disposait pour cela d’autres moyens que la monnaie, notamment de l’imprimerie d’où sortirent, dès la fin du XVe siècle, quantité de livres, de pamphlets, de placards, d’avis, etc. Invention prodigieuse, certes, mais aussi arme à double tranchant, utilisée aussi bien par les rois que par leurs ennemis. Autre instrument de propagande, moins répandu que l’imprimé, mais relativement plus sûr puisque sa fabrication exigeait une main-d’œuvre très qualifiée, la médaille, « monument durable et fait pour transmettre à la postérité les grands évènements ». Du XVI’ au XVIII’ siècle, on frappa en France beaucoup de médailles pour célébrer les victoires remportées contre les huguenots, les exploits d’Henri IV, l’épopée guerrière de Louis XIV, etc.

23. Henri II, roi de France : médaille en argent d’Etienne Delaune, 1552 (Inv. N° 111).

24. Henri IV, roi de France : Henri IV en Hercule domptant le centaure-marquis de Salaces, médaille en argent de Philippe II Danfrie, 1602 (Inv. n°310).


25. Louis XIII, roi de France : Louis d’or frappé à Paris, 1641 (Ancien fonds, n° 2288).

Concert unanime à la gloire des rois dont certains n’hésitent pas à endosser tout un fatras pittoresque d’attributs mythologiques : Henri IV, par exemple, coiffe la peau de lion d’Hercule (fig. 24), à la façon de Commode, afin d’apparaître comme le dompteur des puissances du mal. L’attrait que la plupart des rois éprouvent pour l’antique n’empêche pas la fantaisie. Loin d’eux toute idée d’esclavage. On se plaît, au contraire, à polir le caractère un peu rude de tout cet héritage romain pour l’adapter au goût présent : Henri II revêt la cuirasse et ceint la couronne de laurier, mais à la manière d’un comédien de la Renaissance qui n’oublie pas de chiffonner soigneusement quelque dentelle entre la cuirasse et le cou (fig. 23).

Là encore, les visages diffèrent suivant les goûts du moment, suivant le talent et la vision de l’artiste. Il en sera sans doute toujours ainsi dans l’histoire du portrait. Francis Bacon prétend que l’art est aujourd’hui devenu un jeu (all art has now become completely a game by which man distracts himself), — jeu difficile, au demeurant, pour l’artiste, car il doit l’approfondir pour être tout à fait bon. Simple boutade ? En fait, le jeu existe depuis longtemps. C’est, bien sûr, le plaisir indicible de ceux qui cultivent des goûts raffinés, pratiquent un métier hors du commun, mais c’est aussi, en l’occurrence, le jeu de colin-maillard entre le portraitiste et son modèle : celui qui se propose en modèle se cache d’un portraitiste qui peine à découvrir l’altérité de l’autre et n’aspire, au fond, qu’à projeter une part de soi-même en l’autre. De nos jours, la photographie peut changer bien des choses : d’où l’attrait de Francis Bacon pour cet art qui lui fait découvrir une vérité saisissante ; ses portraits sont d’une profondeur psychologique émouvante. Et pourtant, ce même Francis Bacon ne reconnaît-il pas lui-même dans le Massacre des innocents du vieux Poussin (musée Condé, Chantilly) et dans le Cuirassé Potemkine filmé par Eisenstein en 1925 deux visages, deux cris absolument semblables ?

Jean-Baptiste Giard

Bibliothèque Nationale, Paris 1980
ISBN 2-7177-1563-0

Bibliographie sommaire

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J. Kinneir, ed. The Artist by Himself. Self-Portrait Drawings from Youth to Old Age, New York, 1980.

BIBLIOTHEQUE NATIONALE

DEPARTEMENT DES MONNAIES, MEDAILLES ET ANTIQUES,

Guides du musée déjà parus : Petite histoire de la Médaille, par Michel Pastoureau ; Le portrait d’autrefois, par Jean-Baptiste Giard ; Trésors de l’Islam, par Arlette Nègre.

Achevé d’imprimer sur les presses de I,C C., Paris mn novembre 1980