Extrait du livre « Les Meilleurs Ouvriers de France » avec le sous titre : « Beauté apparente et richesse intérieure donnent au lecteur, plaisir esthétique et rigueur intellectuelle »
La France manque d’attention, de respect, d’encouragement pour l’activité manuelle. On le constate depuis des décennies, voire des siècles, dans le cursus scolaire. Les diplômes les plus réputés sont accordés aux esprit les plus abstraits. L’accès aux grandes Écoles est préparé par toute une formation intellectuelle, et la physique des classes correspondantes ressemble à des mathématiques sans réalisations expérimentales. Nos syndicats de l’Éducation Nationale se préoccupent fort peu de l’équilibre entre activité manuelle et intellectuelle. Heureusement, le Collège de France a réagi dans son manifeste pour l’enseignement de demain (paru en 1986 à la demande du Président de la République) contre cette distorsion, mais son cri d’alarme est encore insuffisant.
J’ai moi-même, avant mon existence professionnelle de scientifique, toujours eu la plus grande estime, une admiration sans faille pour les chefs-d’œuvre des bons ouvriers, la perfection des ouvrages d’ébénisterie, la mécanique de précision, les belles constructions de maçonnerie, les subtils ensembles que l’électronicien est capable de structurer, les merveilleuses réalisations en verre et en cristal. Après la première guerre mondiale, au milieu des années vingt, alors que j’étais tout jeune ingénieur, j’ai participé de tout mon cœur au magnifique mouvement des Équipes sociales, qui mettait en contact amical des jeunes intellectuels et ouvriers. Nous allions ensemble, soit discuter dans des cercles d’études, soit apprendre les rudiments de la T.S.F. de l’époque, soit restaurer le logement d’une personne âgée, soit camper ensemble dans les Vosges ou près du Galibier : une estime, une compréhension, une amitié véritable se développaient entre nous. Et si, plus tard, à mon laboratoire de l’École Polytechnique, notre équipe de travail fut si fructueuse, c’est grâce aux mécaniciens, électriciens et autres que j’avais connus aux Équipes sociales et qui m’avaient suivi. Car nous avions à construire des appareils pour nos recherches sur les rayons cosmiques, appareils nouveaux qui devaient être inventés et se montrer parfaits et performants.
Tout cela pour exprimer combien je suis en phase avec toutes les initiatives susceptibles de glorifier le travail manuel de qualité et ceux qui, avec tout leur cœur et leur habileté, contribuent à la réalisation d’un chef-d’œuvre. Ils sont en général modestes mais fiers de leur travail. Ils échappent à la médiatisation, souvent si médiocre, si lamentable, des beaux parleurs, incapables d’autres exploits que des exhibitions superficielles, baratinantes, chantantes et provocantes. Il faut absolument que nos meilleurs ouvriers habiles, consciencieux, passionnés, soient proposés à l’administration de nos concitoyens. C’est pour cela que la Société des Meilleurs Ouvriers de France a un grand rôle à jouer, un rôle de plus en plus essentiel. C’est pour cela que le Livre des Meilleurs Ouvriers de France doit avoir le plus grand impact possible. Il est remarquable par la qualité et la variété des chefs-d’œuvre qu’il présente.
On ne se lasse pas de les admirer.
Préface sur un livre MOF des années 1980. Toujours d’actualité… Merci Monsieur Louis LEPRINCE-RINGUET.
Louis LEPRINCE-RINGUET :
Élu à l’Académie française, le 13 janvier 1966, au fauteuil du général Weygand (35e fauteuil).
Mort le 23 décembre 2000, à Paris.