« Nicolas SALAGNAC, graveur de détails ». Dans le magazine de la SEMA « Métiers d’Art »

Article publié dans le magazine de la SEMA « Métiers d’Art »,  par Blandine Levasseur en Mai 2004.

Installé à Lyon où fut frappée, il y a près de 500 ans la première médaille française Nicolas Salagnac, jeune graveur médailleur, se bat pour que perdure un savoir-faire qu’emprunte au passé des valeurs oubliées. Portrait d’un passionné.

Installé à Lyon où fut frappée, il y a près de 500 ans la première médaille française Nicolas Salagnac, jeune graveur médailleur, se bat pour que perdure un savoir-faire qu’emprunte au passé des valeurs oubliées. Portrait d’un passionné.
Seul, dans son « cagibi » de 4 m2, « entre la machine à laver et le congélateur », cet amoureux du travail manuel oppose à la technicité froide et à la logique implacable des commandes numériques une sensibilité et une volonté forte, qui tendent à prouver que la dextérité de l’homme habile a encore quelques bonnes longueurs d’avance. Son combat : préserver et revaloriser un savoir-faire ancien, manuel et artistique, et redonner du sens et de la profondeur au travail, de façon à ce que la main de l’homme reste, dans la mesure du possible, en contact avec la matière à transformer.

DAVID CONTRE GOLIATH
Malheureusement, à côté de ce pragmatisme, notre société déraisonnée a plutôt tendance à privilégier bassement les questions triviales, comme le coût, au détriment du résultat final…
Si l’on ajoute à ce tableau une disparition progressive des formations relatives aux différentes techniques nécessaires au métier, on peut se demander ce qui a pu pousser ce bon père de famille à quitter, en mai 2003, un statut confortable de salarié pour s’installer en indépendant. Un brin de folie ? Sans doute . Mais Nicolas Salagnac, Meilleur ouvrier de France 2000, est aussi lucide. Les conditions ont changé. Même à la Monnaie de Paris, qui reste l’institution de référence, les graveurs ne peuvent plus se permettre de passer six mois à graver une médaille. Le métier impose désormais l’utilisation des nouvelles technologies, rapides, donc économiques et presque autonomes. Mais elles ne font pas tout, et surtout elles ne remplacent ni la tête, ni les mains du graveur. La tendance a été de simplifier et de généraliser, alors qu’un bon résultat implique un savant mélange des genres et des spécialités. Ce n’est ni le tout machine, ni le tout main ».

Formation généraliste et recherche individuelle.

Aujourd’hui, pour faire de la gravure, il vaut presque mieux être un bon informaticien qu’un bon graveur ! ». À l’image du métier, la formation a elle aussi beaucoup évolué. La gravure sur acier n’est plus la même que celle enseignée il y a vingt ans, et ce n’est plus sur le métier que la jeune génération est formée, mais sur les nouvelles technologies (modelage, palpage, restitution numérique sur l’acier et finition, polissage), « débouchés et vie active oblige ». Or, la gravure de médaille implique différents savoir-faire, comme la maîtrise du dessin, du bas-relief et de la gravure sur acier. « Ces études demandent une recherche individuelle, car ma génération n’a pas eu l’enseignement des bases académiques et classiques en dessin (anatomie, étude de « plâtre »), sculpture… ». Formé en gravure sur acier à l’École Boulle, Nicolas a profité de sa participation au concours du Meilleur ouvrier de France pour franchir les portes de deux graveurs retraités. « Ce métier est en train de disparaître. La chaîne d’apprentissage est devenue inexistante, alors pourquoi ne pas être un trait d’union entre les jeunes et les anciens ? ».

A CHEVAL ENTRE ARTISTE ET ARTISAN
On l’a compris, les conditions n’ont pas réussi à arrêter Nicolas, fier d’exercer un métier aux techniques aussi variées.
Entre artiste et artisan, le graveur effectue des recherches préalables qui lui permettront de concrétiser le thème de la médaille, à l’aide d’un dessin accompagné d’indications comme la finition (patinée, vieil argent), et présenté au commanditaire, institutions, fédérations, villes ou régions pour validation. C’est à partir de cette maquette, imprimée, que sera gravé le motif sur un bloc d’acier, à l’envers et en creux. Trois méthodes peuvent être utilisées : « La taille directe, de loin la plus noble. Elle consiste à graver la matrice directement à la main ; la réduction d’une sculpture en bas-relief : le modèle est d’abord réalisé en modelage sur plâtre à l’échelle 3, puis réduit à l’aide d’un pantographe ou d’un tour à réduire ; les technologies modernes, qui ne manquent pas d’intérêt, et demeurent onéreuses, et le travail reste froid et sans âme. Quel que soit le procédé utilisé, un travail de qualité implique une finition à la main indispensable. Échoppes, burins, onglettes et ciselets sont les outils utilisés pour personnaliser le sujet et permettre à la lumière, future partenaire incontournable, de souligner les bas-reliefs, les détails et les douceurs de la future médaille ».
Ainsi gravée, la matrice est envoyée à l’éditeur pour l’estampage. Elle est traitée thermiquement pour supporter la frappe sous la presse, au moyen d’un marteau tombant avec une force de 400 tonnes. La médaille est patinée par oxydation, puis brossée, polie sur des tampons de feutre, vernie, avant d’être expédiée.

PERSPECTIVES.
En mars dernier, Nicolas a quitté son « cagibi » pour un « vrai »atelier obtenu par le biais de l’association Lyon Croix Rousse Métiers d’art pour dix-huit mois.
Cet espace lui permet d’appréhender le futur proche avec un peu plus de sérénité. « Je ne cherche pas à gagner des parts d’un marché plus que restreint, mais a communiquer sur une conception, autour d’un métier dont je suis fier », résume-t-il. Avec son site, il espère toucher une clientèle hors de l’hexagone pour qui les valeurs manuelles ne sont pas un vain mot, et réussir ainsi, à l’aube du troisième millénaire, à remporter le combat du temps contre celui de l’argent.